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26 avril 2009

A la table de poker

Depuis un très long moment, le siège voisin du mien à la table de poker était réservé pour un nommé Andy. Au bout d’environ trois quarts d’heure, un jeune, casquette, T-shirt rouge, soigneusement mal rasé, se donnant l’air de celui-à-qui-on-ne-la-fait-pas a fini par s’installer. Il a abandonné à ses pieds un sac plastique blanc entrouvert. Une odeur nauséabonde s’en échappait. J’allais lui suggérer de resserrer la fermeture lorsqu’il l’a déposé sur ses genoux et en a extirpé un emballage de papier entourant une boîte en polyéthylène.

Sans me laisser l’occasion de lui indiquer que « la poubelle est juste derrière », il en a rabattu le couvercle, dévoilant une sorte de gigantesque kebab dégoulinant d’une sauce brune, et recouvert d’une substance élastique blanchâtre, évoquant un reste de fondue attaché au fond d’un caquelon. Les effluves suffisaient à me nourrir juste en respirant. Je m’imaginais les mains graisseuses palpant les cartes avant de les reposer dans le tas.

-         Comment allez-vous jouer en mangeant ?

-         Oh comme ça.

Il me montre ses mains : la gauche pour manger, la droite pour jouer.

Il utilisait également la droite pour téléphoner et régulièrement se faisait prier quand c’était son tour. Maigre dédommagement, en sus de ses effluves, il nous a laissé ses jetons.

20060412_Las_Vegas_184_poker

20090409_Las_Vegas_027_pokerMon voisin de table était un gros gaillard noir mal rasé dont le crâne en partie chauve brillait au dessus d’un faciès de voyou. Une dame pakistanaise, vivant en Illinois, lui posa la question traditionnelle pour celui qui veut essayer de socialiser à une table de poker : « Vous venez d’où ? » Il mâchouillait son éternel cure-dents en répondant :

-         Je suis d’ici, de Vegas, mais je m’emmerde ici, je vais aller habiter ailleurs.

-         Ah bon, où donc ?

-         Au Texas, à Austin.

-         Oh, n’y allez pas vous n’aimerez pas là-bas, enchaîna aussitôt la dame qui ne l’avait jamais rencontré jusqu’à ce jour et qui n’avait sans doute jamais mis les pieds à Austin.

Le voyou, qui avait des conversations en cours plus lucratives, n’a pas ajouté pas de commentaire. Il restait pendu au téléphone à parier sur toute une série d’évènements sportifs : base-ball, basket, football. Il faisait de vagues signes de main pour enchérir ou folder ses cartes. A intervalles réguliers, il se levait et allait visionner des écrans. Il rappliquait quinze minutes plus tard, recommençait son manège et engrangeait des jetons lors de ses passages à notre table. Un type, assez faible, qui venait de se recaver, s’est laissé entraîner et a perdu contre lui presque tous ses nouveaux jetons. J’ai interpellé son bourreau pendant qu’il les empilait :

-         A peine il se recave, vous lui prenez tout !

-         Je ne lui ai rien repris, il me les a donnés !

Un jeune, bronzé, manche de chemise, lunettes de soleil, a remplacé Andy. Il semblait échoué d’une plage californienne. Il se donnait l’air cool, a commandé un café-latte à l’une des demoiselles qui pirouettent dans la salle « quelqu’un désire-t-il une boisson ? ».

Il sirotait son café au lait d’une allure si décontractée que soudain il lui échappa : « Oh, sorry ! » et l’on vit le café se répandre sur TOUTE la table, les cartes, le tapis en une énorme flaque qui s’agrandissait en direction du dealer paniqué.

-         Superviseur, superviseur, vite, vite, des serviettes.

On lui apporta trois ou quatre linges bruns puis encore quelques-uns. Le café semblait sourdre de partout. Les gens contemplaient ça d’un air médusé. Certains aidaient maladroitement à pomper le liquide, surtout pour ne pas risquer d’en voir dégouliner sur leur pantalon. Le jeu a repris. Il faudrait au minimum un tremblement de terre d’une certaine importance pour interrompre une partie de poker. Finalement le bellâtre, confronté à la perte de ses jetons qui suivit celle de son café, s’est levé et a disparu dans les couloirs du Bellagio.

Un autre joueur, sur le point de partir, était disposé à vendre ses jetons à un nouvel arrivant. Ce dernier lui a tendu un billet de cent dollars puis a soigneusement vérifié que le rack de jetons reçu en échange soit plein. L’autre faisait mine de s’offusquer :

-         Faites-moi confiance.

Il n’obtint qu’un petit ricanement comme réponse. Le superviseur, qui passait par là, a synthétisé d’une brève répartie les limites de la confiance :

-         C’est un joueur de poker.

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