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29 août 2011

Portrait de rue

A Bardolino, tous les soirs, un dessinateur ambulant croque le portrait de quiconque a réussi à trouver la place2011 libre. Son assistante, à côté, à moins que ce ne soit sa compagne ou une amie, est aussi portraitiste. Son trait est sûr, sa technique éprouvée, mais, dans ses réalisations, on ne retrouve pas l’âme du modèle, comme dans les œuvres du « maître ». Les touristes l’ont constaté, c’est pourquoi les places sont si difficiles à obtenir.
Ce soir, le maître sirote un apéritif à la terrasse d’un café de la place. Nous nous risquons à l’interpeller. Il ne parle qu’italien, et encore, en avalant ses mots. Il est d’accord de s’atteler au portrait de Leah, après avoir terminé son verre bien sûr. Appuyé sur une canne à pommeau argenté, tirant sur une cigarette, le petit personnage évoque un de ces artistes du début du siècle passé.
- Vous ressemblez à Toulouse Lautrec.2011
- Lui, il était plus petit, réplique-t-il.
L’apéro enfin terminé, il se dirige vers son chevalet. Il donne une brève instruction à Leah.
- Voilà Leah, air naturel.
Leah s’assied, sourit.
- Non, naturel !
Leah, étonnée, jette un regard dans notre direction.2011
- Mais, c’est naturel de sourire.
Tant bien que mal, Olivia traduit. L’artiste résume sa pensée :
- Non, non ! Sourire Kodak !
Le sourire s’efface. Le peintre tend le bras devant lui :
- Regarder menu, en face. Apprendre par cœur menu.
Leah se fige. Toulouse Lautrec observe, tire sur son cigare, discute, puis il se souvient de Leah. Il trace quelques traits.
- Pas sourire !
2011Leah se force à garder son sérieux. De longues minutes s’écoulent. L’étude s’ébauche. Un petit attroupement s’est formé. Le peintre discute avec son assistante, l’envoie acheter des cigarettes, expulse quelques bouffées dans le nez de Leah qui détourne légèrement la tête.
- Regarder menu !
Toulouse Lautrec esquisse quelques traits en l’air, fixe Leah, touche le papier, regarde la feuille d’un air satisfait.
- Ah ! Ah ! Leah.
Leah n’a pas le droit de regarder. Elle conserve un air sérieux. Ses lunettes glissent de quelques centimètres.2011 Le visage de Toulouse Lautrec n’exprime plus le contentement.
- Lunettes ! Pas bouger !
Leah hésite entre lever le bras pour replacer les lunettes ou demeurer immobile pour obéir à la deuxième injonction. Elle reçoit une bouffée de fumée dans le visage, qu’elle interprète comme l’ordre de remettre ses lunettes en place. Le dessin se poursuit.
Des gens, qui étaient allés manger, sont revenus. Ils apprécient les progrès du dessin, la patience du modèle.
2011Toulouse Lautrec s’est arrêté. Il est parti chercher l’inspiration et d’autres cigarettes. Il revient finalement, vitupère contre les ombres qui se sont déplacées, contre les lunettes qui glissent, contre sa copine qui ne prospecte pas. De peur de briser l’inspiration de l’artiste, on se tient coi. Il s’y remet, corrige un contour, aborde le bas du visage puis décrète une pause de cinq minutes.
Leah se lève timidement, se demande si elle peut aller aux toilettes. Non, Toulouse Lautrec  pense avoir retrouvé l’inspiration au bout d’une minute.
- Assis Leah ! regarder menu.
Le bas du visage a pris forme, Toulouse Lautrec semble content de lui.2011
- Ah ! Ah ! Leah !
Leah garde un air sérieux. Olivia se rend au restaurant, en face, pour retarder notre réservation. Pourrons-nous encore dîner ? Oui, jusqu’à dix heures semble-t-il. Nous prions pour y parvenir à temps. Le dessin progresse. Toulouse Lautrec recule, darde un regard méchant sur le soleil qui se couche sans attendre la fin du portrait, se tourne vers Leah :
- Lunettes bougées.
2011Leah les réajuste et continue de fixer un point devant elle. On pressent la fin. Encore quelques traits. Une remarque à un quidam distrait dont l’ombre dérange, et Toulouse Lautrec caresse sa barbiche, incline la tête, s’éloigne, revient et enfin, apporte la dernière touche avant de parapher l’œuvre qu’il détache alors du trépied avec componction. Regards admiratifs des passants, exténué de Leah, agacés et ravis des parents. Lorsque, le précieux rouleau sous le bras, nous nous dirigeons vers le restaurant promis, la victime suivante, un jeune garçon, est déjà installée sur la chaise, face à Toulouse Lautrec.

 

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Commentaires
P
Il faudra venir le voir à la maison!
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S
Super récit, mais on est frustré de ne pas avoir une photo de l'épilogue..., l'oeuvre du maitre
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