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21 juin 2014

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Dix minute d’attente le long de la route avant de pouvoir entrer dans le parking. Un employé repérable à sa veste jaune dirige les véhicules

Hôpital de Morges

vers les rares espaces libres. Je m’arrête à sa hauteur. Il me désigne une voiture :

—     Mettez-vous là, derrière elle.

—     Que se passe-t-il ici aujourd’hui ?

Il a l’air étonné.

—     Ben, rien.

—     C’est toujours comme ça ?

—     Ouais. Vous avez encore eu de la chance de ne pas attendre plus.

Un peu plus loin, à l’entrée du bâtiment, un type tatoué, tête de voyou au crâne rasé, traîne avec ses potes devant le tourniquet du hall. Il toise le monde d’en bas à partir d’une chaise roulante, une perfusion à ses côtés.

Des toilettes publiques sont situées sur la droite, juste après l’entrée. Quand j’en ressors, un homme est en train de se laver les mains. Il se retourne et j’aperçois un bandage serré autour de son nez. Il s’écarte du lavabo :

—     Allez-y, j’ai du sang sur les mains.

—     D’habitude ça a une autre signification.

J’abandonne le type ensanglanté pour me rendre à l’accueil.

—     « Médecine II, couloir gauche, chambre 276 » m’informe la réceptionniste.

C’est la dernière chambre. Je frappe. Rien. J’entrouvre la porte et je perçois un bruit de chasse d’eau. Je referme. J’attends. Je refrappe. Il vient m’ouvrir. La dernière fois, à la maison, il était alité, croulant sous la fatigue.

—     Entre. Ça fait plaisir.

Il tient la porte en me désignant une chaise. A part son peignoir blanc, il a tout de l’hôte faisant les honneurs de son salon.

Il entame la conversation en se glissant à la seule autre place disponible dans la chambre : le lit.

—     C’est très gentil de venir. Alors, comment ça va ?

En short et T-shirt, avec la perspective d’une partie de tennis tout à l’heure, je réponds que je vais bien et que je suis content de voir que pour lui, ça a l’air de mieux aller.

Il s’enquiert de mes projets, parle de Tolstoï, de Dickens, de l’ambiance de la cérémonie d’ouverture du Mondial de football qu’il a trouvée impersonnelle derrière l’écran TV.

—     Esther n’a pas pu se reposer comme prévu, enchaîne-t-il en parlant de son épouse. Elle était épuisée. A Bâle, si je laisse tomber une fourchette, elle se précipite comme si je dégringolais dans l’escalier. Dès qu’elle n’entend rien pendant un petit moment, elle m’appelle « Tino, t’es là ? » Elle avait vraiment besoin de se détendre.

—     Ces derniers jours, elle n’a pas beaucoup pris de repos.

—     Non. A la place, elle s’est enfoncée dans le trou de la fatigue.

Une équipe d’infirmières arrive pour prendre sa tension, brancher une perfusion, vérifier les analyses. L’une d’elle lui sourit :

—     C’est agréable ici, il fait frais.

Il se tasse un peu de côté.

—     Vous voulez vous mettre à ma place ?

Il m’explique comme elles sont attentionnées, ainsi que l’électricien qui s’est acharné sans succès à réparer une lampe.

—     Tu trouves quand même le temps de dormir ?

—     Oui, oui, la nuit c’est très tranquille jusqu’à sept heures du matin, quand les ouvriers commencent le chantier.

—     Juste devant un hôpital !

—     C’est sympathique de les entendre crier, on se croirait en Italie comme en vacances.

Il décrit à quel point un hôpital non universitaire est agréable.

—     Quand ils m’ont cherché en ambulance, je leur ai dit de m’amener à Morges. On nous connaît tout de suite. C’est plus rapide, il n’y a pas tous ces protocoles.

Les vacances à Saint-Sulpice, ce n’est que partie remise. De toute façon, comme il dit : « autant profiter, à la fin il y a la mort ». Après tous ces passages en oncologie, doublés d’une lourde chimiothérapie, ce n’est pas une malencontreuse petite hospitalisation supplémentaire qui semble l’ébranler.

Une heure plus tard, dans le hall menant à la sortie, j’évite de justesse une chaise roulante parcourant le couloir en marche arrière.

En me croisant, le gars assis dessus lance un avertissement :

—     Attention, y a pas de rétroviseurs

Le tatoué au crâne rasé est en train de regagner sa chambre. 

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Commentaires
P
merci beaucoup et un "écrivain" content d'être lu :).
Répondre
A
Un malade parfait mais l'écrivain aussi !
Répondre
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