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18 juin 2022

Chroniques persanes II Saâdi et la révolution

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        Lui ne se plaint pas, du moins pas à voix haute. Dans sa tête, quand il pensait encore, il trouvait le temps long. Il n’aimait pas son travail : surveiller les gens, démasquer les fraudeurs. Ça le gênait moins d’éloigner une bande de visiteurs bruyants pour faire de la place à ceux qui se recueillaient. Deux ou trois mois après ses débuts, un groupe de mollah s’est approché de lui. On lui a demandé s’il appréciait d’avoir ce poste, s’il désirait le conserver. Bien sûr, il a dit. Comme tout le monde, il répond ce qu’attendent les mollahs. Il ne veut pas d’ennuis. Son fils suit une bonne école, une des meilleures de Chiraz. C’est possible si on a de l’argent. Alors ce poste, il en a besoin, il ne veut pas finir à la rue comme ces mendiants qu’il chasse le soir devant la grille du mausolée. Il pense à Hassan. Il ne l’a plus revu. Vit-il toujours ? De toute façon, il n’avait pas à trafiquer des T-shirts américains. Il savait bien que c’est interdit. C’est la loi, c’est comme ça. S’il n’avait pas dénoncé Hassan, un autre l’aurait fait. Ils sont des dizaines qui voudraient sa place alors, quand l’imam a demandé sa collaboration, il n’a pas refusé. Ils voulaient un gardien de la Révolution, autant que ce soit lui. Lui ou un autre, ça change rien, ni pour Hassan, ni pour les autres. Il a bien fait d’accepter. Autrement, il ne pourrait pas envisager d’études pour son fils. Plus tard, il voudrait en faire un médecin. Lui, il a toujours été un bon musulman, il jeûne au Ramadan et il suit les préceptes d’Allah. Sa femme ne sort jamais sans être accompagnée, et toujours voilée, pas comme cette jeune là-devant. Il devrait peut-être l’arrêter, ce foulard lui couvre à peine la nuque. Mais on lui a dit de ne pas intervenir en présence de touristes et il y a du monde autour de la tombe de Saâdi, comme tous les soirs d’ailleurs. Et s’il ne dit rien, et que l’imam le dénonce ? le mieux, ce serait qu’elle s’en aille. Qu’est-ce que Nooshi lui aura fait à manger ce soir ? Est-ce qu’elle aura trouvé des brochettes pour mettre avec le riz ? C’est qu’il travaille, lui. Elle, elle reste à la maison, elle peut bien se contenter de riz, mais lui, il a besoin de protéines. Encore une heure et il va pouvoir rentrer.

       Saâdi, que penserais-tu de ton pays 800 ans après ta mort ? Tu chantais la jeunesse, le vin, l’amour et on te laissait faire. Que penserais-tu des lois, des mollahs, des prisons ? Cheveux au vent, les femmes dansaient dans le jardin des Roses, des hommes jouaient du luth et les amants s’aimaient. Que penserais-tu des gardes pour surveiller les amoureux qui se tiennent par la main ? Tu croyais en la sagesse millénaire de la Perse, tu croyais en l’amitié, tu croyais en la vie. Pour tous ces gens autour de toi, tu es devenu immortel. Tu es notre phare et notre espoir. Tes poèmes sentent l’eau de rose et la fleur d’oranger.
      Je perçois derrière moi le poids de la réprobation. Jamais un hijab noir ne me dissimulera. Je veux danser, je veux chanter, je veux vivre, et pour cela, je sens que je dois m’en aller.

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