Chroniques persanes XVIII : Abyaneh

Sur la route de Kashan, on fait un crochet par Abyaneh. Classé au patrimoine mondial de l’Unesco, le village perché à deux mille cinq cents mètres d’altitude date de l’époque Safavide, au XVIe siècle. Les maisons en pisé, pierre et bois sculpté, imbriquées les unes dans les autres forment une mosaïque rouge, ocre et beige qui, sur les hauteurs, finit par se confondre avec les roches de la montagne. Ça s’est pour la partie bucolique et magique. Le reste est à mi-chemin entre le site touristique de Gruyère et Disneyland. Pour mériter la vue, il faut se munir d’un ticket vendu dans une guérite en bord de route quelques kilomètres avant l’entrée du village. 

On parque le bus dans un des endroits prévus pour garer les bus et on descend un chemin bordé de stands de babioles diverses qui mène au cœur du village. Les touristes sont pour la majorité des familles de Téhéran. Tiens, un homme en habit élimé tire un âne. Je le prends en photo et il me demande un dollar, mais m’accorde un discount si je fais un selfie avec ma femme et l’âne. Ce n’est pas ma femme. Il m’accorde le discount quand même. Je lui file une pièce et file par la même occasion. Des routards vendent des bijoux faits à la main. Ils sont sympas, les bijoux et le couple qui les a fabriqués. Je leur en achète et continue mon chemin. Je prends des photos gratuites d’un balcon, d’un vendeur endormi, et des sommets environnants. J’ai l’impression de faire une affaire chaque fois que j’appuie sur le déclencheur. On tombe sur un indigène typique chauffant du thé au charbon de bois. Vous en voulez une tasse ? demande-t-il de son sourire édenté. Comment a-t-il deviné ? La chaleur peut-être. Volontiers, répond-on. Ça fait un dollar. On croise un couple de Belges à vélo, parti pour traverser l’Asie et la vie ensemble. Ils sont souriants, jeunes, heureux, bronzés, avec des mollets de sportifs. Ils adorent cette vie entamée il y a de nombreux mois. Ils trouvent qu’il y a trop de touristes ici, oui c’est vrai, mais c’est beau et pittoresque, c’est vrai aussi. Ils poussent leur bécane et l’enfourchent pour entamer la descente vers la plaine. On les apercevra l’après-midi, deux petits points se déplaçant sur une route rectiligne au pied des massifs sablonneux les dominant du haut de leur quatre mille mètres.

On mange à midi du riz au safran et des brochettes dans un relais alpin inspiré des chalets suisses, avec ses photos de vaches et ses masques de bois accrochés au mur, mais avec une
touche iranienne donnée par les théières en argent, et les tambourins décorant le hall d’entrée au-dessus des canapés couverts de coussins. En milieu d’après-midi, on repart direction Kashan, notre prochaine étape dans le désert persan. Je me demande si, le soir venu, au moment de compter la recette du jour, les habitants d’Abyaneh auront troqué leurs habits élimés pour des sweats plus modernes.