La complainte des joueurs
Je
croise Gérard Duruz qui déambule nonchalamment dans les couloirs du Fairmount.
Sa chemise blanche savamment entrouverte
sur sa chaîne dorée, son paquet de clopes à la main, il se dirige vers la
petite terrasse dominant la baie.
- T’es
débarrassé de moi
- Ah
bon, t’as perdu ?!
- Contre
une Japonaise qui avait aucune idée. C’est vraiment un jeu de cons.
Quand,
avec une tête de déterré, un joueur nous annonce son élimination, on prend un
air navré et on lui répond sur le même ton que s’il nous annonçait que son
médecin venait de déceler chez lui un foudroyant cancer incurable :
- Non…
ben merde.
Si
tout se passe bien on continue notre chemin et on l’oublie dans les deux
secondes qui suivent. Plus souvent nous devenons une victime collatérale de sa
défaite :
- Tu
te rends compte, j’avais gagné, il n’avait que six et as. Devine ce qu’il a
tiré !
- Ben
euh, six et as ?
- Ouais !
- Noooon !
- Attends
je te montre la position.
Là,
nous sur ses talons, il se met à la recherche d’un bord, en trouve un à l’autre
bout de la salle, ajuste les pièces, n’est plus sûr de la position
- Quelque
chose comme ça.
On
compatit une deuxième fois.
- Vraiment
c’est pas de bol.
- Oui
t’as vu ça m’arrive tout le temps depuis deux ans.
Là,
si tout se passe mal, il nous raconte encore deux ou trois situations
similaires dans lesquelles il s’est trouvé. Si tout se passe bien, son portable
sonne et l’on peut poursuivre son chemin aux toilettes.
J’ai perdu mon quatrième tour de consolation contre un Russe, Pavel Andrey. Il m’enverra l’analyse de notre match.
Je
suis en train de jouer la deuxième
consolation contre Alain Babillon. Rassoul s’approche. On parle un peu les
trois. Rassoul nous fait part de son problème :
- Mon
seul défaut, c’est que je fais des erreurs.
Je ne jouerai qu’après souper contre Didier
Assaraf. Je bois un café, servi avec deux pralinés, vue sur la baie en prime :
le luxe.